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4 femmes scientifiques dont les découvertes ont été volées (partie 1)

Connaissez-vous l’effet Matilda ? Il désigne la tendance à invisibiliser la contribution des femmes à la recherche scientifique. Alors, rendons à Cléopâtre ce qui est à Cléopâtre. Cortex Média vous présente le portrait de quatre femmes scientifiques dont les découvertes ont été volées.

Matilda Joslyn Gage, militante féministe et abolitionniste, dénonçait à la fin du XIXᵉ siècle l’invisibilisation des femmes inventrices. Un siècle plus tard, l’historienne des sciences Margaret Rossiter formalise, à travers l’« effet Matilda », ce concept qui tend à effacer les femmes des récits scientifiques.
Les trajectoires de ces quatre femmes victimes de l’effet Matilda révèlent l’ingéniosité, la force et la persévérance de scientifiques dont le génie a été caché, mais jamais éteint.

Lise Meitner

Professeure Lise Meitner | IAEA

Victime de la ségrégation en Allemagne, rien n’a perturbé la détermination de Lise Meitner pour faire avancer la science.

Lise Meitner, la voix pacifiste de la révolution nucléaire

Née à Vienne en 1878, celle qui découvrira la fission nucléaire baigne dès l’enfance dans un environnement où la soif de savoir est une valeur partagée. Ses parents encouragent filles et garçons à poursuivre des études. Un diplôme de doctorat en poche, Lise est sans perspective de carrière académique, mais elle peut compter sur le soutien de son père, à l’encourage rejoindre qui Berlin.

Arrivée à Berlin en 1907, elle doit d’abord travailler bénévolement, les femmes n’étant pas officiellement admises dans les laboratoires. C’est là qu’elle rencontre Otto Hahn, chimiste, avec qui elle entame une collaboration décisive qui marquera l’histoire de la physique nucléaire.
Rejoints par le chimiste Fritz Strassmann, les trois scientifiques se lancent dès 1934 dans ce qu’ils nomment le « Projet uranium ». La collaboration est fructueuse mais Lise se voit bientôt menacée par les lois antisémites après l’Anschluss. Comme une grande partie des scientifiques juifs d’Allemagne, elle doit fuir et se déguise pour rejoindre la Suède. Une fois en sécurité, elle continue à collaborer à distance avec Otto Hahn et Fritz Strassmann.

Durant Noël 1938, elle reçoit une lettre d’Otto Hahn décrivant des résultats expérimentaux inattendus. Avec l’aide de son neveu Otto Frisch, elle sera la première à apporter une réponse théorique à ces observations : et la fission fut ! Elle est pourtant évincée de la publication de la découverte et du Prix Nobel, en raison de son genre mais aussi de son origine juive. Cet évincement se reproduira deux fois.

Une physicienne qui n’a jamais perdu son humanité

Cette découverte mène à une seconde : le fait de créer une réaction en chaîne a la capacité de libérer une immense quantité d’énergie. Le président Franklin Roosevelt lance alors le fameux projet Manhattan. Conviée, elle refuse catégoriquement d’y participer. Elle est horrifiée par le potentiel de destruction engendré par sa découverte et devient, suivie par Otto Hahn, une fervente militante anti-arme nucléaire. Son neveu, Otto Frisch, écrira son épitaphe : « Une physicienne qui n’a jamais perdu son humanité ».
Malgré les freins qui se sont imposés à elle, rien n’a entravé l’amour que Lise Meitner portait à la science. Un amour que partage Anissa Souidi, chercheuse à l’ENS de Lyon, dont le portrait est disponible en podcast.

Marthe Gautier, pour un chromosome en plus

Marthe Gautier est un cas d’école de l’effet Matilda. Elle est la découvreuse de la Trisomie 21, mais il a fallu plus de 50 ans pour que son apport essentiel soit reconnu.
Née en 1925 à Montenils, Seine-et-Marne, dans une famille d’agriculteurs, elle est la cinquième de sept enfants. Sa mère l’encourage à devenir médecin, suivant l’exemple de sa sœur aînée, tuée en 1944. Marthe réussit l’internat des hôpitaux de Paris et se découvre une vocation pour la pédiatrie. En 1955, elle obtient une bourse d’études pour les États-Unis.

Son année à Harvard sera déterminante. Elle y acquiert une expertise en culture cellulaire, compétence rare pour l’époque. À son retour, elle rejoint l’hôpital Trousseau et intègre le service du Professeur Raymond Turpin, qui s’intéresse depuis plus de 30 ans à la maladie alors nommée « mongolisme », dont il recherche la cause. Ce dernier avait, dès 1937, émit l’hypothèse d’une anomalie chromosomique, à l’exemple de la mutation Bar chez la mouche drosophile. Il souhaite effectuer des cultures cellulaires pour compter le nombre de chromosomes chez les personnes trisomiques et demande à Marthe de s’en charger. Celle-ci, du fait de l’absence de laboratoire dédié à cette pratique, se met à l’œuvre et en crée un de toute pièce. Elle y observe pour la première fois un chromosome surnuméraire — 47 au lieu de 46 — identifiant ainsi l’anomalie à l’origine de la Trisomie 21. Problème : elle ne dispose pas d’un microscope assez performant pour photographier ses lames. C’est son collègue Jérôme Lejeune qui réalisera les clichés décisifs

Marthe2014

Marthe Gautier – Société Française de Génétique 

Le lent chemin de la reconnaissance

Lors de la publication de la révélation, en 1959, Lejeune est mis en avant comme principal découvreur tandis que Marthe voit son nom relégué en seconde position, et qui plus est, mal orthographié (« Marie Gauthier »).

Ce n’est qu’en 2009, lors du cinquantenaire de la découverte, qu’elle commence à témoigner et que son rôle est officiellement reconnu. Mais le combat ne s’arrête pas là puisqu’en 2014, lors du Grand Prix de la Société française de génétique humaine, son discours est annulé sous pression de la Fondation Lejeune. Alors âgée de 88 ans, le stress généré par l’évènement lui fait perdre l’intégralité de ses cheveux. La « découvreuse oubliée », comme elle-même avait fini par se qualifier, meurt dans son sommeil en 2022. Les travaux de Cécile Charrier, neuroscientifique, ont aussi permis d’élargir la connaissance autour des troubles neurodéveloppementaux. Découvrez son parcours singulier.

Aujourd’hui : où en sont les femmes de science ?

Selon un rapport de l’Académie des sciences publié en 2024, les femmes sont aujourd’hui presque à parité avec les hommes en début de carrière scientifique, mais se heurtent vite à des obstacles qui freinent leur progression. Elles ne sont que 18% à l’Académie. Malgré ces freins, certaines réussissent à briser le plafond de verre et à s’imposer dans un milieu encore trop masculin.

Notre série documentaire met en lumière les parcours remarquables de dix scientifiques de renom, dont six académiciennes.

Juliette Berliat
Juliette Berliat

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