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Le Handicap, ce n’est pas juste : Si tu veux, tu peux  » Yaneck Chareyre

Dans cette interview, Yaneck Chareyre nous présente sa bande dessinée sur Alison Lapper et sa vision du Handicap

Vous avez choisi Mathieu Bertrand, pourquoi ce choix ?

Je vais vous donner une anecdote un peu futile : quand j’ai écrit ce scénario je n’étais personne. C’est très difficile d’exister pour un scénariste de BD. Comme je suis journaliste, je suis un peu connu côté éditeurs mais en tant que raconteur d’histoire je ne suis pas connu. J’ai cherché un dessinateur qui soit déjà publié pour pouvoir mettre en confiance l’éditeur. Je suis allé en librairie en quête d’un dessinateur qui avait juste un ou deux bouquins derrière lui. Et j’ai découvert Mathieu Bertrand par un de ses livres « Mona, les petites marées ». Son dessin me plaisait bien. Je l’ai donc directement contacté et il a accepté que je lui envoie mon scénario de la version fictionnée. Il a aimé tout de suite.

 

Elina Salvador, éditrice chez Steinkis, avait très envie de travailler avec Mathieu. Il lui a présenté le projet de London Venus ce qui a permis du coup la sortie de l’album.

Parlons des dessins, qui a fait le choix des pleines pages ?

Je suis venu à Lyon pour travailler avec Mathieu sur toute la première partie de l’album et sur le découpage. Mathieu a proposé que, régulièrement, il puisse avoir des pleines pages pour faire respirer l’histoire. Des planches, faciles et amusantes à faire car je mettais simplement « pleine page avec 3-4 cases dans lesquelles Mathieu pouvait mettre ses illustrations. Ces planches permettaient de faire des pauses, des focus, des pages qui viennent travailler le rythme. Le rythme a de l’importance dans le récit. Ce travail commun entre le scénariste et le dessinateur permet une lecture plus agréable.

 

-Effectivement, lors de ma première lecture de l’album, J’ai eu le souffle coupé quand j’ai vu la pleine page d’Alison bébé. En toute franchise, j’ai fait une pause avant de reprendre la lecture.

 

On a bien réfléchi à l’endroit où placer ces pleines pages pour qu’il y ait cet effet de surprise. La photo d’Alison bébé existe vraiment. Les médecins l’ont prise à sa naissance.

J’ai été étonnée de voir le personnage souvent représenté nu. Quel rapport avait-elle avec son corps ?

Elle avait cette force de mettre en avant le corps dans sa nudité dès sa naissance. En tant qu’artiste, son corps était son premier support et sujet. En 99, elle a été contactée par Marc Quinn pour faire la statue d’elle enceinte. Elle a hésité au début mais elle a très bien fait d’accepter car la statue est superbe. Elle vient réinterroger le rapport à la difformité et le rapport à la beauté du corps.

 

Ça vient percuter un tabou fantastique, que j’adore, la question de la sexualité et de la parentalité. Deux choses différentes mais qui en France sont deux sujets extrêmement tabous dans le champs du handicap. C’est d’autant plus vrai quand la personne vit en institution. Le rapport à la sexualité dès lors qu’il est issu d’un cadre collectif, avec des personnes qui ne sont pas autonomes, est compliqué. J’ai travaillé en foyer d’accueil d’urgence, j’ai vu passer des accusations d’attouchements entre jeunes.

Pour les personnes âgées, c’est pareil. En EHPAD ou maison de retraite, la question de la sexualité est également un tabou. Il me semblait intéressant de venir interroger à travers ce livre les professionnels qui sont sur le terrain aujourd’hui et les familles qui ont une place extrêmement forte dans le système d’accompagnement des personnes en situation de handicap, sur cette question du rapport à la sexualité et à la parentalité. En tant qu’éducateur, notre rôle, je m’associe un peu, est de permettre aux gens de devenir autonome sur l’ensemble de ces sujets. Quand il y a une déficience intellectuelle trop forte et comme le consentement est trop compliqué à obtenir dans cette situation, devenir autonome sera impossible. Il n’y a pas de réponse simple, globale ou unanime, cependant je trouve qu’il n’y a pas assez de questions. C’est pourquoi j’avais envie de questionner les valides, les professionnels ainsi que les personnes en situation de handicap car elles sont les mieux placées pour défendre leurs droits.

 

Je pense ne pas en avoir fini avec ces sujets-là, j’y reviendrais surement !

Vous avez eu des doutes durant ces années de travail ?

Il a fallu d’abord que je fasse le deuil de mon scénario fictionnel, qui était le deuxième scénario que j’écrivais. Chose difficile car j’avais progressé avec ce scénario, j’avais compris des choses de la grammaire de la BD et j’en étais assez fier. Il a fallu abandonner ce scénario et en écrire un nouveau. C’était un vrai pari.

 

J’ai eu un doute sur le choix de la parole à la 1ère personne. N’était-elle pas trop verbeuse ? Cette crainte je l’ai perdue tardivement quand j’ai lu des albums de scénaristes, comme Xavier Dorison grand scénariste franco- belge de BD, dans lesquels ils causent énormément.

 

Puis une grosse difficulté est venue pendant l’été 2019. Je me lançais dans la rédaction de la 3ème et dernière partie du scénario, je devais encore réaliser le récit en lui-même. En effectuant des recherches sur Alison, je découvre un événement majeur qui se passe dans sa vie venant casser complétement la conclusion que je venais d’écrire. Je contacte mon dessinateur, mon éditrice pour les prévenir que je devais repenser cette dernière partie. Il fallait la réécrire !

 

Connaissant bien l’analyse de pratique par mon ancien métier, je profite beaucoup des retours sur ce 1er album. Des retours tous, très différents, qui me permettent d’être content du résultat. J’ai lu les 110 pages d’un coup, bien longtemps après les avoir écrites, je me suis presque mis en mode critique. J’ai retrouvé les intentions que je voulais transmettre. Le dessin de Mathieu Bertrand correspondait à ce que je recherchais. Son travail était même plus intense que ce que j’imaginais. Du coup, je n’ai pas avoir honte de ce 1er bouquin.

Pour conclure l’interview, Yaneck, j’aurais voulu savoir ce qui vous a le plus touché dans l’histoire d’Alison Lapper ?

A titre personnel, je dirai le rapport à sa mère. La difficulté à créer le lien mère-enfant est un sujet qui me touche particulièrement.

 

A titre plus distancé, c’est le constat du poids des services sociaux sur sa vie. A l’échelle d’une vie, le travail social a un impact sur la vie des gens. Avec AL, j’ai donné un exemple d’une personne qui a réussi, avec un parcours exceptionnel. Mais il ne faut pas oublier que tout le monde n’a pas cette possibilité. Le système de prise en charge ne permet pas toujours d’avoir cette autonomie, cette liberté. Malgré toutes ses difficultés, elle a rencontré les bons professionnels à un moment donné qui lui ont permis de retrouver son autonomie. C’est le point le + important. Individuellement, on peut plein de choses mais on évolue toujours à une période de sa vie dans un cadre institutionnel et ce cadre peut vraiment impacter l’évolution des personnes. Il faut vraiment qu’on soit attentif à l’institutionnalisation et à la difficulté à mettre l’humain au centre de l’accompagnement. Les lois sont là pour ça mais ce n’est pas toujours facile à mettre en place sur le terrain. C’est, une boussole que de regarder tous les travailleurs sociaux en disant si j’étais à leur place, est ce que je voudrais vivre ça. C’est une vision de la société que je veux défendre. Je ne pense pas que l’individu peut tout. Il peut beaucoup de choses par sa personnalité, mais il ne reste pas moins qu’il y a des freins et des accélérateurs qui ne dépendent pas de lui, c’est important de le retenir. Car il y a des milliers de personnes en situation de handicap qui n’arriveront pas à la réussite d’A.L Ce n’est pas leur faute car ce n’est pas juste une question de « si tu veux, tu peux ».

 

Sandrine Brotons
Sandrine Brotons

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